Kuan-Yuan Lai interprète les souvenirs d’enfance de Tsai Ming-Liang en réalité virtuelle
Faisant partie d’une série d’oeuvres immersives coproduite par la France, le Royaume-Uni, Taïwan, le Luxembourg et la Corée du Sud et s’intéressant aux grands maîtres du cinéma et à leurs « images manquantes », « Missing Pictures Episode 2 : Tsai Ming-Liang, The Seven-Story Building » s’attarde au cinéaste taïwanais Tsai Ming-Liang. Le Français Clément Deneux, qui signe le premier épisode de la série, fait ici équipe avec Kuan-Yuan Lai afin de faire vivre en réalité virtuelle un scénario que le réalisateur aurait aimé réaliser. De passage à Montréal pour participer à une discussion organisée par le Centre PHI, où l’oeuvre est présentée jusqu’au 11 juin dans l’exposition « Chaos et mémoires », le Taïwanais a échangé avec nous.
Né en Malaisie, mais parti vivre à Taipei, Taïwan vers l’âge de 20 ans, Tsai Ming-Liang entame sa carrière cinématographique en 1992. Il réalise notamment « La Rivière » en 1997, couronné de l’Ours d’argent à Berlin. En 1998, il est sélectionné au Festival de Cannes avec le long métrage « The Hole ». Il retournera sur la Croisette en 2001 avec « Et là-bas, quelle heure est-il ? » et en 2009 avec « Visage ». En 2013, son film « Les chiens errants » récolte le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise. Son oeuvre la plus récente est « Days », récipiendaire du Teddy Award à la 70e Berlinale.
« Ses films sont souvent très lents et les plans sont très longs, ils durent pendant plusieurs minutes. Il a aussi une personnalité très particulière », décrit Kuan-Yuan Lai, qui s’exprime dans un français appris lorsqu’il étudiait à l’école d’animation Supinfocom dans l’Hexagone. « Au moment de commencer à travailler avec Tsai-Ming Liang, il nous a informé qu’il n’y avait aucun scénario jamais réalisé qu’il a voulu écrire, ajoute le réalisateur. Il reste très contemporain, il a un feeling et s’en inspire. Il n’avait donc pas de "Missing Pictures". Nous nous sommes posé une nouvelle question. »
C’est finalement l’enfance du maître taïwanais qui se dessine comme un souvenir oublié. Le cinéaste se remémore alors sa vie auprès de ses grands-parents, une époque cruciale qui a influencé son parcours, particulièrement la relation qu’il entretient avec son grand-père. C’est à travers son témoignage et les images de Clément Deneux et de Kuan-Yuan Lai qu’il explique pourquoi il ne peut filmer cette enfance. « C’est parce que pour lui, c’est impossible de reproduire le même sentiment », indique ce dernier.
Le film en réalité virtuelle a été immortalisé grâce à 4D View, une technique qui permet de tourner sur écran vert avec plus d’une trentaine de caméras capturant les images d’entrevues avec le réalisateur et les séquences d’animation. « Ça nous permet de mettre le matériel dans les logiciels Unity ou UnReal, de jouer avec les images et de modifier l’ambiance. Nous voulions exprimer l’émotion de Tsai-Ming Liang avec une animation au style peu réaliste, plus abstrait, qui correspond à son style », mentionne Kuan-Yuan Lai, qui spécifie que le produit final est une interprétation des souvenirs du maître taïwanais.
Au son, le duo de réalisateurs a choisi d’évoquer la Malaisie dans les années 1960 en récoltant des archives comme références et point de départ à la conception sonore. Des bribes de la réalité sont entendues, comme des extraits de films. Kuan-Yuan Lai a coréalisé « Missing Pictures Episode 2 » en 2021, en plein confinement. Les échanges entre les équipes française et taïwanaise ont à peu près tous été effectués à distance, rendant la démarche de cette création tout aussi virtuelle que son résultat.
Pour la suite des choses, le créateur développe un projet plus personnel, l’adaptation en réalité mixte d’un ouvrage signé par un auteur aborigène taïwanais. Il compte intégrer la projection immersive à ce projet qui s’inscrit dans une nouvelle série de films. « Je veux interpréter ce roman. Nous y parlons de l’océan, de la vie. Souvent, dans ce type de récit, nous sommes dans l’aventure et l’action. Dans celui-ci, nous abordons la chasse au poisson et le respect de la nature », conclut Kuan-Yuan Lai.