La santé mentale et le télétravail : un défi constant, selon Marie-Ève Lacasse
Psychologue clinicienne depuis 20 ans et coach personnelle et professionnelle certifiée, Marie-Ève Lacasse a été une des premières à implanter la pratique privée à distance. La réalité du télétravail, elle la connaît. Ce fut le sujet de sa conférence au Forum Avantage numérique, où elle est venue parler des réalités, des enjeux ainsi que des pistes de solutions pour s’adapter à un mode de vie qui est arrivé dans le quotidien de tous pour désormais y rester.
Détaillant l’« historique » du télétravail en trois phases, Marie-Ève Lacasse rappelle d’abord que cette réalité, rendue possible grâce aux avancées technologiques, existait avant la pandémie. Certes, les cadres, les informaticiens, les spécialistes des télécommunications et quelques chanceux de l’univers pouvaient travailler à partir de la maison, mais c’était loin d’être la norme. Puis, la pandémie a frappé la planète en 2020. « Le télétravail a même été imposé à plusieurs. Les nouveaux télétravailleurs devenaient tous ceux et celles qui avaient accès à la technologie, sauf pour quelques secteurs », raconte-t-elle.
Aujourd’hui, il est possible de parler d’une période « postpandémique », où un certain vent de changement semble souffler et quelques stratégies pour mieux vivre ce quotidien ont permis à une grande majorité de personnes de mieux se l’approprier. Des scénarios 50/50 selon lesquels l’employé diviserait son temps de travail en parts égales entre la maison et le bureau deviennent envisageables, mais rien ne s’est encore concrétisé à l’heure actuelle.
« Il existe plusieurs tabous concernant le télétravail. L’un des plus grands est le secret de l’état psychologique. En télétravail, c’est beaucoup moins accessible. Ça ne paraît pas, d’une rencontre à l’autre, si ça ne va pas bien. Nous pouvons garder la caméra fermée. Il y a un tabou de dire à ses collègues de travail que nous nous sentons isolés », indique la psychologue. D’autant plus que cette fameuse caméra fermée rend impossible de déterminer l’écoute réelle.
Les employeurs, de leur côté, étaient terrorisés par l’idée du télétravail et avaient peur que leurs employés ne soient pas suffisamment productifs. Selon Statistique Canada, 90 % se sont dits finalement plus productifs et plus performants à la maison, allant même jusqu’à affirmer travailler plus longtemps. Mais jusqu’à quel prix ? interroge Marie-Ève Lacasse. Les employés cumulent les heures « n’importe comment », ce qui est intéressant pour le portefeuille des entreprises, mais plus difficile pour les télétravailleurs qui éprouvent toujours des difficultés d’adaptation.
L’immobilisme et le cloisonnement des travailleurs peuvent exacerber différents problèmes ou symptômes, comme l’anxiété et l’irritabilité ou encore en entraîner de nouveaux tels le surplus de travail, une tendance à toujours dire oui, une perte de contact avec les collègues et une rareté des rencontres avec le superviseur ou le chef d’équipe.
Des plages horaires de discussions informelles, la création d’un espace d’écoute sans jugement, la démonstration d’une volonté de jouer le rôle d’allié et d’offrir à l’employé le droit à la déconnexion sont quelques idées d’actions concrètes que les employeurs peuvent poser afin d’éviter la catastrophe.
Aux yeux de la coach personnelle et professionnelle, les pistes de solution se trouvent justement dans la séparation entre la sphère privée et professionnelle, et qu’elle soit, elle insiste sur cette dimension, personnalisée à tous et toutes. « Ce n’est pas n’importe quelle solution qui va être bonne pour tous. Chacun doit calibrer sa "tarte" de vie, affirme-t-elle. Pour le réussir, il faut s’organiser, se discipliner, en créant des boîtes de temps. C’est contre-intuitif de se réserver un 30 minutes pour lire ou faire un Sudoku. C’est aussi important de maintenir les contacts sociaux. » Prendre des pauses est aussi quelque chose qui est particulièrement escamoté, note Marie-Ève Lacasse. Il est plus productif d’investir ses efforts en segments et de laisser la place aux pauses, car de toute façon, le cerveau sombre dans une fatigue cognitive, ce qui rend les dernières minutes de la journée moins productives.
Pour parvenir à atteindre ces gestes qui sont, la psychologue le reconnaît, plus faciles à énoncer qu’à mettre en pratique, il est impératif de mettre en place des motivateurs qui vont pousser la personne à déployer les moyens nécessaires pour arriver à ses fins, par exemple, une meilleure qualité de vie, une plus grande liberté, un espace créatif ou encore la possibilité de voyager.
« C’est normal qu’il y ait des baisses, assure-t-elle lors de sa présentation au Forum Avantage numérique. Nous ne sommes pas là pour essayer de répondre à une formule idéale et se mettre de la pression. Nous voulons nous rapprocher de cet idéal. Souvent, c’est juste une question de pouvoir y penser. Tranquillement, les choses se placent, mais c’est un défi constant. »