[PODCAST] Isabelle Mashola veut utiliser la technologie pour faire le bien
Après un parcours dans de grands groupes, Isabelle Mashola, ingénieure de formation, a réalisé un virage à 360 degrés pour se lancer dans la « tech for good ». Elle a passé 4 ans chez EDS, 12 chez Cisco, près de 3 chez Dell et, enfin, 6 chez Publicis. Une carrière bien remplie pour celle qui se considérait comme intrapreneure dans ces grands groupes. En juin 2016, elle fonde, avec Philippe Coup-Jambet, isahit, une start-up socialement responsable qui permet de faire le lien entre intelligence artificielle et intelligence humaine. Isabelle Mashola sera présente virtuellement à Montréal pour donner une conférence à MTL connecte / La semaine numérique.
Isabelle Mashola avoue avoir toujours soutenu la cause féminine, même dans les grands groupes où elle a travaillé. Elle croit au partage et à l’intelligence collective. « Je n’avais pas de role model qui me plaisait, explique-t-elle. Les femmes en haut devaient être pires que les hommes. » Dans cet esprit, elle croit que les femmes doivent s’entraider, les hommes le font bien. Parmi ses valeurs, elle cite le respect, l’égalité, la bienveillance, le collaboratif et un fort sens de la justice. À mesure qu’elle vieillit, la cofondatrice et présidente de isahit supporte de moins en moins que ses valeurs soient bousculées.
Il y a quelques années, elle se joint à une association qui travaille auprès des femmes en Afrique. Parmi les projets de cette association, on compte l’achat de séchoirs pour la transformation de céréales au Burkina Faso, permettant aux femmes de travailler même pendant la saison des pluies, et l’achat de machines à coudre pour que les jeunes femmes camerounaises puissent mieux développer leur entreprise de prêt-à-porter. C’est à cette époque que Philippe Coup-Jambet se joint à l’association. « Donner, c’est top quand les gens n’ont plus rien et que leurs maisons ont été saccagées par un ouragan, illustre Isabelle Mashola. Mais ce qui donne un sens à la vie, c’est le travail. » Ayant fait le tour des grands groupes, elle s’est demandé ce qui la motivait.
Philippe Coup-Jambet, qui possédait une dizaine d’années dans l’univers des start-ups, a convaincu sa partenaire de se lancer dans une entreprise technologique. « Le principe de isahit est de donner du travail à des personnes qui ne pourraient pas travailler sans les technologies, précise-t-elle. Nous sommes présents dans 32 pays sur 3 continents. Nous voulons faire travailler les femmes. Il ne faut pas opposer la technologie à l’humain. L’intelligence artificielle n’a pas l’intelligence humaine, il y a un tas de choses qu’elle ne saura pas faire. »
isahit propose à des jeunes femmes un complément de revenus, par exemple, pour terminer une maîtrise qui leur coûterait 3 000 euros. Ces dernières travaillent un maximum de 100 heures par mois, pour une période ne dépassant pas deux ans et demi. Pendant cette période, elles vont toucher du revenu. L’entreprise paie sept fois plus ses employées que les entreprises traditionnelles pour le même métier. Les femmes reçoivent des formations à la fois en soft skills et en hard skills. Tout cela pour que les femmes prennent confiance en elles. Isabelle Mashola préfère toutefois le terme anglais empowerment, plus fort à ses yeux que la simple confiance. Une des idées derrière isahit s’avère de sortir les femmes de l’économie informelle pour les faire entrer dans l’économie formelle.
Concrètement, quand une entreprise comme Sodexo, L’Oréal ou Veolia donne 100 euros pour un contrat, 60 euros reviennent directement aux travailleuses - appelées hiters -, 35 euros à isahit et 5 au programme Isahit Help pour soutenir les partenaires avec les hubs dans les pays, offrir une formation gratuite et donner un accès à Internet. « Nous sommes une plateforme socialement responsable qui prend les projets d’entreprises, les découpe et fait appel au crowd », précise la cofondatrice. Aujourd’hui, la plateforme compte 1 100 hiters. D’ici 3 ou 4 ans, isahit veut faire travailler 10 000 femmes, ce qui permettra de faire vivre 40 000 personnes.
Chaque année, isahit fait appel à une firme externe pour valider les impacts de ses actions. Selon les résultats de cette analyse, quatre impacts ont été révélés : le woman empowerment, la possibilité de reprendre des études, la professionnalisation du monde du travail et, depuis un an, la possibilité de trouver un emploi.
isahit oeuvre dans plusieurs grands domaines : le computer vision ; le natural language processing ; et le data & content services. Pour le computer vision, Isabelle Mashola donne en exemple l’analyse de plateaux-repas dans les cafétérias pour Sodexo, la reconnaissance de la peau pour L’Oréal et le tri des déchets robotisé pour Veolia. Le traitement automatique du langage (NLP) peut, par exemple, permettre d’améliorer l’expérience des robots conversationnels. Enfin, en ce qui a trait aux services de données et de contenus, il s’agit de réécrire les fiches produites pour des commerces et du sous-titrage.
« Quand L’Oréal nous envoie 10 000 photos à taguer, il s’agit d’une micro-tâche, une image, une personne, illustre Isabelle Mashola. Il s’agit de mettre de la force dans la diversité. Par exemple, dans un plateau-repas de cantine française ou de cantine brésilienne, il faut reconnaître tous les composants. Même chose pour la peau. »
Une partie du constat de isahit est qu’aujourd’hui, dans le monde, 2 milliards de personnes vivent avec moins de 2 euros par jours, et parmi celles-ci les femmes se trouvent surreprésentées parce que ce sont elles qui sont moins éduquées et moins enclines à utiliser le numérique. On peut renverser cette situation en permettant aux femmes de travailler, les technologies permettant cette flexibilité. isahit s’aligne sur deux des Objectifs de développement durable de l’ONU : d’abord l’ODD1, qui vise à éliminer la pauvreté, et l’ODD8, afin de donner du travail décent pour tous.
Lors de sa présentation à MTL connecte / La semaine numérique, Isabelle Mashola voudra voir en quoi la technologie et l’humain peuvent être des leviers d’innovation sociale. Elle proposera des cas concrets, mais voudra aussi démystifier l’intelligence artificielle. « Oui, l’intelligence artificielle va détruire des jobs, ou les déplacer selon l’ONU, mais elle va en créer beaucoup, reconnaît-elle. Nous nous trouvons dans le delta positif où il y aura plus de création que de déshumanisation et aussi de solutions éducatives. Il faut faire en sorte que tout le monde soit connecté, sinon on va laisser des gens derrière. » Elle parlera aussi de l’externalisation socialement responsable comme la pratique isahit.