Alors que partout en Occident on note la montée de la désinformation, diverses études dans le monde révèlent que les médias et les journalistes font face à un important déficit de crédibilité, de confiance et d’imputabilité. Pour étudier ce phénomène à l’échelle du Québec, le professeur Marc-François Bernier (département de communication de la Faculté des arts, Université d’Ottawa) et la professeure Marie-Eve Carignan (Département de communication de la Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke) ont mené une vaste enquête d’opinion portant sur les médias québécois.
« Il est très rare au Québec d’avoir un sondage d’une telle ampleur consacré à ce que les gens pensent de la crédibilité des médias et de leurs journalistes, et à la confiance qu’ils leur accordent ou leur refusent », rappelle le professeur Marc-François Bernier. À la veille de la première édition du Festival international du journalisme de Carleton-sur-Mer et pour les 50 ans du Conseil de presse du Québec, cette enquête est incontournable pour enrichir les débats qui y auront lieu. Notre première analyse révèle des éléments fort intéressants à propos de la dynamique qui se trouve en arrière-plan des opinions exprimées, par exemple que le parti politique auquel les répondants accordent leur préférence influence leur perception des médias d’information et des journalistes ou, encore, que près de la moitié des répondants croient que les journalistes contribuent à diffuser de fausses nouvelles. »
Cette enquête mobilise des indicateurs reconnus dans la littérature scientifique qui vont au-delà des impressions générales. Les résultats offrent des pistes de réflexion qui pourront guider le développement des pratiques journalistiques.
« Au sortir d’une pandémie qui a généré beaucoup de méfiance envers les différentes institutions, il nous semblait essentiel de créer une enquête qui nous permet de comprendre en profondeur le rapport du public québécois aux médias », explique la professeure Marie-Eve Carignan, cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents. Bien que les personnes répondantes indiquent que les médias traditionnels sont ceux auxquels ils font le plus confiance, on note dans les résultats de l’enquête une mécompréhension et une hésitation d’une partie de celles-ci quant aux pratiques journalistiques, ce qui démontre un besoin de mieux comprendre les principes déontologiques et éthiques de la profession et de mettre en place des mécanismes pour assurer la confiance envers la presse. »
Ce sondage bilingue a été mené auprès de 1598 personnes résidant au Québec en avril 2023.
Quelques faits saillants de l’enquête
- La crédibilité de tous les médias est à la baisse même si les personnes répondantes estiment encore de façon majoritaire (sauf pour Internet) que les choses se sont passées vraiment ou à peu près de la façon dont les médias les racontent. La télévision demeure le média le plus crédible.
- Plus de 45 % des personnes croient qu’il arrive parfois ou souvent que les journalistes contribuent à créer et à diffuser de fausses nouvelles.
- Généralement, le jugement porté sur la crédibilité et la confiance des médias est plus sévère et critique chez les personnes s’identifiant au Parti conservateur du Québec.
- Plus de 54 % de celles et ceux qui connaissent bien un sujet sont d’avis que les journalistes font preuve d’exactitude dans les faits qu’ils rapportent.
- La confiance des Québécoises et des Québécois est fragile selon certains indicateurs, mais tout n’est pas sombre.
- C’est encore chez les médias traditionnels, peu importe les plateformes, que 76 % des personnes répondantes trouvent l’information à laquelle ils font le plus confiance.
- On retrouve une répartition presque identique de personnes qui ne croient pas en l’indépendance des journalistes face aux partis politiques et au pouvoir politique (33 %) que de personnes qui croient qu’ils sont indépendants (34 %), alors qu’un autre tiers dit ne pas le savoir.
- Plus de 40 % estiment que le financement public des médias d’information « incite les journalistes à être moins critiques des gouvernements » alors que 38 % estiment que « cela n’a aucune influence sur le travail des journalistes ».
- 30 % estiment que les journalistes sont avant tout au service de leur entreprise ou de leurs propres intérêts, alors qu’une même proportion croit qu’ils sont avant tout au service de l’intérêt public. Un tiers des personnes disent qu’ils servent ces trois intérêts.
- Presque autant de personnes (± 30 %) sont surtout en accord ou surtout en désaccord pour dire que les « journalistes peuvent diffuser des informations en toute liberté, sans interférence des propriétaires et gestionnaires ». 39 % des personnes répondantes adoptent une position intermédiaire, signe de leur indécision en la matière.
- Plus de 71 % estiment que les journalistes laissent souvent ou parfois leurs préférences politiques influencer la façon dont ils rapportent les nouvelles.
- Le Conseil de presse du Québec n’a pas la préférence des Québécoises et des Québécois en matière d’imputabilité.
- Les personnes répondantes ont une connaissance relative des principales fonctions du Conseil de presse du Québec.
- Seulement 26 % croient que ce tribunal d’honneur, avec uniquement un pouvoir de sanction morale, soit le dispositif adéquat pour assurer que les journalistes respectent l’éthique et la déontologie liées à leur métier.
- 50 % estiment que les médias « accordent de l’importance aux plaintes et aux reproches du public », contre 27 % qui croient le contraire.
- 41 % croient que les médias essaient de cacher leurs erreurs, contre moins de 36 % qui pensent au contraire qu’ils acceptent de les reconnaitre.