Alors que l’été arrive à grands pas, TOPO révèle un nouveau corpus de l’artiste Leila Zelli pour ce troisième cycle de la programmation sur le thème Frontière, « Géopolitique, espaces variables ».
Dans cette proposition vidéo adaptée pour le Web, l’artiste aligne quelques extraits de reportages de grands médias réalisés dans les zones de conflit en Syrie, de 2011 à aujourd’hui.
Étant née pendant la guerre de l’Iran et l’Irak, Leila Zelli cherche à montrer le paradoxe de la vie dans les pays en guerre avec ces petits interstices de vie qui démontrent l’immense tristesse et les petits moments de joie, l’espoir malgré tout pour souligner la volonté de vivre et de survivre. Tout le monde a droit à ces petits moments de bonheur, comme ces cris de joie dans une piscine, même dans un trou creusé par une bombe et rempli d’eau…
La frontière paradoxale de chaque extrait, que ce soit le clignotement infini d’un néon, l’espoir du retour d’électricité dans un hôpital ou encore la résilience d’une plante à fleur à côté d’un bâtiment en ruine, porte un regard tendre sur des situations complexes vécues par un.e Autre, d’« ailleurs ». L’artiste souhaite ainsi susciter un moment de réflexion sur la vie des survivants de la guerre, qui ne sont plus des autres d’ailleurs, mais nos voisins, ici et maintenant.
« Il y a quelque chose d’invraisemblable à propos de la guerre... sa grandeur, sa dureté, sa destruction qui amènent l’humanité à son extrême... son extrême « humanité »... Avec extrême violence ou extrême tendresse... La cohabitation de ces contrastes est incroyable ! Incroyablement belle ! Incroyablement laide !... Tellement incroyable qu’une fois vécue, elle ne sera jamais oubliée... » — Leila Zelli.
Dans une entrevue avec la théoricienne de la littérature et autrice du livre « Sidérer, considérer : migrants en France », 2017, Marielle Macé invite à prendre conscience de notre manière de regarder l’Autre, à ne plus être sidéré devant Lui, devant Elle, et à considérer l’Autre en tant qu’être vivant singulier, au même titre que soi. L’Autre et les réalités de sa vie ne pourront jamais être réduits à un cadre, une image, une explication.
« C’est ce trajet affectif, intellectuel ou politique à l’intérieur de chacun qui permet de passer de la sidération à la considération, c’est-à-dire d’une émotion où on est médusé par une situation de souffrance, une situation historique collective exorbitante […], explique Marielle Macé. Et passer de cette émotion de sidération à une émotion de considération, ça veut dire devenir patient, arrêter de croire qu’on reconnait des situations de souffrance ou des situations de relégation historique, et s’intéresser aux vies qui sont vécues, même si elles sont invivables, mais qui justement sont vécues au jour le jour dans un quotidien. C’est peut-être ça la chose la plus difficile, c’est de mesurer qu’une vie invivable est elle aussi faite d’un quotidien, d’une intimité psychique, d’une intériorité. Elle est faite d’émotion, d’ennui, de rêve, de tentatives pour risquer une vie quotidienne, une nouvelle vie quotidienne, même dans les situations les pires qui lui soient faites. Donc c’est ça, ce passage de la sidération à la considération. »
Certains extraits ont été présentés pour la première fois à l’exposition Terrain de jeux (2019) de Leila Zelli à la Galerie de l’UQÀM sous une forme d’installation.