Ce billet est une suite de la réflexion présentée dans Le point de rupture écologique et le développement effréné de nos économies me poussent à rêver d’un futur différent. Un texte de Michelle Blanc.
Hier je recevais dans mon courriel, un contenu de mon homonyme (du temps que j’étais un homme) Michel Leblanc, PDG de la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain, qui traitait de l’impact du télétravail sur la diminution drastique des travailleurs au centre-ville de Montréal et de la campagne de la CCMM pour attirer de nouveau, les travailleurs dans les bureaux désertés de Montréal.
Le télétravail a fait très mal au centre-ville, les travailleurs l’ayant déserté lors de la pandémie. De surcroît, le retour au bureau ne s’est pas fait à une vitesse satisfaisante pour la CCMM, pour plusieurs gestionnaires immobiliers et pour certaines entreprises. Ils ont raison de s’inquiéter et il est tout à fait légitime qu’ils tentent de rapatrier les travailleurs à Montréal. Si j’étais à leur place, je ferais très probablement la même chose.
Cependant, je ne le suis pas. J’observe aussi cette migration des travailleurs des grands centres, vers les banlieues, puis vers les régions. C’est le constat que fait aussi froidement l’un de mes mentors, Jacques Nantel, dans son ouvrage « S’en sortir !Notre consommation entre pandémie et crise climatique ».
C’est aussi le constat que fait Steve Case, fondateur de AOL et important VC (capital risqueur) de la Silicon Valley, dans son dernier livre The Rise of the Rest : How Entrepreneurs in Surprising Places are Building the New American Dream, qui est discuté dans l’article de Forbes The Next Silicon Valley Will Be in the US Heartland. L’un des justificatifs pour les déplacements des entreprises hors de la « valley » pour s’établir dans le « heartland » (qui sont dans le fond, nos régions du Québec) est le suivant : « There’s a whole host of things that people consider when they’re moving to a city and relocating their families. Some of these social issues will likely be important. The momentum is quite strong for many of these places, like Tulsa, Oklahoma, and northwest Arkansas, but there is a risk that might slow. But other people might be drawn to tax incentives, the lower cost of living, a shorter commute, or a desire to raise their family where they grew up. I’m quite confident that with the Rise of the Rest, we will have a more evenly dispersed innovation economy, where the majority of very successful, disruptive companies will come from outside of Silicon Valley. Maybe it will help knit together a very divided country, at least in a small way. »
Avec la fibre optique qui se déploie pratiquement à la grandeur des régions, il n’est plus nécessaire d’être dans un grand centre pour pouvoir travailler. De même, pour une start-up ou même pour une entreprise établie, les coûts d’achat ou de location immobilières, sont beaucoup plus bas, la qualité de vie y est très différente et le « prestige » d’avoir une adresse dans l’une des tours imposantes d’un centre-ville, n’est plus l’argument de crédibilité qu’il était. Même Elon Musk a quitté la Californie pour le Texas afin de profiter d’une taxation plus basse et d’un prix du pied carré d’un terrain plus avantageux afin d’y construire son nouveau siège social et de nouvelles usines. D’ailleurs, autour de mon lac, la valeur domiciliaire a subi une hausse très importante étant donné la croissance phénoménale de la demande. Le prix pour une propriété dans mon bois est cependant très loin de ceux de l’île de Montréal et pour un prix équivalent, voire inférieur, vous pouvez avoir un cottage face à un lac et près d’une pente de ski avec des écoles privées de grande qualité à mois de 10km, comparativement à un 5 ½ dans les quartiers centraux de Montréal. Les rues commerciales en région connaissent aussi une croissance qu’ils n’avaient pas vu depuis des décennies et plusieurs travailleurs et entrepreneurs s’interrogent ouvertement désormais sur les possibilités de travailler, d’habiter et d’investir hors des grands centres. Dans l’article de Radio-Canada Le malheur de Montréal fera-t-il le bonheur des régions ?, Bernard Vachon, professeur retraité du Département de géographie de l’UQAM observe ce qui suit :
Plaidoyer pour la déconcentration
Si on conjugue tous ces facteurs, on arrive aujourd’hui à un contexte qui est propice à l’éclatement des grands ensembles du fait qu’on n’a plus besoin de la concentration pour un nombre croissant d’activités économiques, conclut-il. Et cela n’est pas une négation du phénomène métropolitain, mais c’est une remise en question de l’hégémonie de l’idéologie métropolitaine.
L’idée n’est donc pas d’opposer deux modes d’occupation des territoires, que sont les métropoles et les régions, mais d’aller dans une perspective de déconcentration. De sorte que la croissance économique et démographique dont ont bénéficié les grands centres va être mieux partagée entre les villes métropolitaines et les régions.
Bernard Vachon a bon espoir qu’on va assister dans les prochaines années à un renforcement des villes moyennes en région et des chefs-lieux des MRC (municipalités régionales de comté), ce qui ferait de ces dernières des bassins d’activités, économiques notamment, et d’emplois.
« La consolidation des (87) MRC à travers tout le Québec, ce serait un réseau de territoires dynamiques sur les plans économique et démographique, qui ferait contrepoids en quelque sorte à la puissance des zones métropolitaines, notamment Montréal et Québec. » — Une citation de Bernard Vachon
Dans leur quête de croissance, les régions rurales devraient toutefois, comme les villes, composer avec les mêmes contraintes de développement spatial, dont celles imposées par le zonage agricole, rappelle le professeur à la retraite.
C’est aussi ce que monsieur Vachon exprimait dans son article Régions : après l’exode, les signes d’une reconquête, en avril 2020.
La pandémie : coup d’accélérateur au mouvement de reconquête des régions ?
Cet aparté sur la pandémie et ses suites, n’est pas sans lien avec le sujet de ce billet, soit la reconquête des régions. Nous avons évoqué plus haut un ensemble d’évolutions en cours qui créent les conditions d’une nouvelle attractivité des régions, de leurs petites villes et territoires ruraux. Les prises de conscience à la fois économiques et sociales issues de la pandémie viennent ajouter de nouveaux éléments à cette attractivité.
Le courant de mondialisation des marchés si impérativement instauré depuis les années 70, risque de voir surgir un plaidoyer pour un retour aux économies nationales et une montée en puissance des mérites du développement local et régional. L’objectif étant d’innover et de produire où l’on vend (municipalité, région, pays). Autosuffisance, agriculture paysanne ajoutée à l’agriculture conventionnelle, circuits courts, commerces de proximité, achat local, valorisation des systèmes productifs locaux, synergie des partenaires publics et privés au sein des communautés, sentiment d’appartenance, etc., autant de notions plus ou moins considérées marginales par rapport à la « vraie économie » qui occuperont peut-être une place plus noble dans la définition de l’économie post-pandémie.
Après la vague de délocalisation d’entreprises vers des pays à faible coût de production, on pourrait assister à un mouvement de retour d’unités de production au pays, un phénomène de « relocalisation ».
La conscience environnementale pourrait accélérer l’adhésion aux principes de l’économie circulaire et favoriser le développement de nouvelles filières au tableau du développement durable.
Certains spécialistes en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire invitent les autorités des grandes villes à revoir les mesures de densification (croître en hauteur plutôt qu’en largeur), arguant que les fortes densités sont propices à la propagation de pathologies contagieuses. De ce point de vue, la croissance urbaine serait encouragée à se déployer dans les banlieues et les couronnes éloignées : les « suburbs » et les « exurbs ». Commentant le nombre particulièrement élevé de personnes contaminées par la COVID-19 dans la ville de New York, le gouverneur de l’état, Andrew Cuomo, déclarait mercredi dernier : « We have one of the most dense, close environments in the country, and that’s why the virus communicated the way it did. Our closeness makes us vulnerable. »
La propagation de la covid-19 force la pratique du télétravail et son intégration dans les organisations du travail et les systèmes de production. La pérennité de cette pratique dans les mois et les années à venir contribuera à réduire la congestion routière, diminuer les émissions de GES et décider de nombreux travailleurs indépendants et salariés à faire le choix d’une installation dans une petite ville ou village en région.
Voilà un florilège de réalités bien actuelles à la source du mouvement de reconquête des régions, de leurs villes et villages.
D’ailleurs Jacques Nantel, cité plus haut, termine son chapitre Le rapport aux espaces : Les espaces commerciaux, le bureau, la résidence et la mobilité, par ce paragraphe d’une grande sagesse. « S’il est juste de dire que le chemin vers la « normale » n’existera plus après cette pandémie, il est tout aussi juste de dire que cette même pandémie devra nous permettre d’oser mettre en pratique beaucoup de nouvelles solutions, des solutions réellement novatrices. L’avenir ne requiert pas tant plus de connaissances ou de données. Il demandera surtout du courage. »