« BLKDOG », une chorégraphie de Botis Seva, raconte la souffrance et la vie
Lors de son passage à Danse Danse début novembre, la compagnie internationale itinérante Far From the Norm présentait la chorégraphie du Londonien Botis Seva « BLKDOG », qui combine théâtre, danse hip-hop et contemporaine. Le Lien MULTIMÉDIA a assisté à la rencontre avec le directeur artistique et quelques-uns des interprètes après une représentation à Montréal, à la fin d’une tournée nord-américaine qui aura également amené la troupe à New York, Nashville, Ottawa…
Avec 7 artistes de danse de rue (notamment le krunk et le popping), « BLKDOG » propose une intense expérience qui évoque « la dépression, l’aliénation et la mémoire » liées à l’identité raciale, à travers des moments de fougue, d’érotisme, mais aussi de grandes perturbations et de violence. Alors que la musique électronique ténébreuse et chargée de Torben Sylvest ponctue l’ensemble de l’oeuvre, la première partie de la chorégraphie donne lieu à de nombreuses séquences au sol (ou très près du sol) qui s’enchaînent tumultueusement ; on y sent un certain désespoir, plusieurs gestes suggèrent un révolver, un personnage trouve d’ailleurs la mort, carrément. La deuxième moitié du spectacle réfère davantage à l’enfance qui peut encore exister en chacun des êtres, avec des costumes appropriés. Botis Seva indique que ses pièces révèlent aux spectateurs tout simplement la vie, dans tout ce qu’il crée.
Victoria Shulungu, danseuse et directrice de répétition au sein de la compagnie, ajoute qu’« il y a beaucoup d’histoires qui se rattachent à "BLKDOG". Il s’agit du véhicule, du vaisseau d’un paquet de récits... sur comment nous communiquons, notamment. Pendant qu’on observe la danse, quelque chose qui est du divertissement normalement, on réfère ici à beaucoup d’événements concrets, des événements sociaux et politiques. On doit parler de cela parce que c’est pour nous une occasion d’échanger, de converser avec le public. Ça peut même être l’occasion de changer l’histoire, de changer la vie aussi, entre nous. Ce n’est pas seulement nous les danseurs, mais en fait nous tous, avec le public, qui y participons. »
En outre, elle mentionne que comme soutien psychologique, par rapport aux lourds et difficiles propos tenus dans la pièce, les danseurs s’entraident émotionnellement entre eux, et ce, depuis le tout début de la création, selon un système qu’ils ont mis en place eux-mêmes. De plus, des professionnels du domaine psychologique leur donnent des trucs, diverses indications, pendant les répétitions et après les performances.
Et comment la musique, les textes et les mouvements ont été mis ensemble ? « Le processus s’est engagé de pair avec le compositeur, indique le chorégraphe, et c’est moi qui interprète les textes d’adulte - pas les phrases d’enfants, évidemment - qu’on entend ici et là. Le musicien Torben Sylvest venait fréquemment en studio, beaucoup d’idées ont été échangées et il scrutait également les vidéos filmés lors des répétitions, tenant compte des mouvements et des sentiments exprimés, comme la colère par exemple. Grosso modo, c’était quand même assez stressant et intense. Je ne suis pas certain que je serais prêt à refaire ce long processus d’ailleurs. »
Relativement aux costumes de la deuxième partie du spectacle - alors que la première comprend des cagoules -, une référence au peintre américain Jean-Michel Basquiat, avec son côté « dessins d’enfants » et ses « couronnes », Botis Seva convient qu’un lien peut être établi. « Son langage est très imagé et on intègre en effet ces éléments, à savoir le sentiment d’être roi, ou reine, qui se trouve intégré dans la pièce en général et en même temps dans les costumes. »
Le chorégraphe souligne que le thème de l’enfance s’est précisé pendant que son propre fils grandissait, parallèlement auprès de lui. Le garçon avait un an quand Botis Seva a commencé la création de la pièce et il est aujourd’hui âgé de sept ans. Sa présence lui a rappelé l’enfant qu’il n’était plus. Il a donc voulu se réapproprier cet élément de candeur, en quelque sorte, dans « BLKDOG ».
« J’ai longtemps pensé que je pouvais retransmettre cet enfant intérieur à l’adulte (brisé) que j’étais devenu. C’est pourquoi il y a une espèce d’aller-retour, qui transpose cet aspect à l’adulte. Il y a tellement de choses qui arrivent, qui sont perdues en vieillissant, que j’ai voulu retrouver cela. La façon dont les enfants jouent, dansent, dont ils ressentent les choses, c’est de manière si libre et réelle, non prescrite. Plusieurs éléments de « BLKDOG » représentent les choses qu’on vit en grandissant, en vivant dans un certain milieu, dans un pays donné. »
Au début, l’artiste avoue avoir détesté son propre spectacle, une première version de 25 minutes, parce qu’il ne traduisait pas exactement ce qu’il voulait exprimer. Néanmoins, on lui demandait d’allonger cette première itération. « Après avoir laissé la pièce de côté un certain temps, la COVID aidant, j’ai pris un certain recul, je me suis mis à prier davantage, à connecter avec ma foi, et ça m’a beaucoup éclairé sur les choix subséquents que j’ai apportés à la pièce, raconte-t-il. Après avoir regardé trop d’enregistrements vidéo, avoir voulu dire tant de choses, dans un trop long processus de création, j’en suis venu à la déconstruire, puis à la reconstruire, à la simplifier, et à ne garder que les choses les plus importantes, nécessaires, même s’il en reste beaucoup, même si c’est encore très chargé. »
Les danseurs Joshua Shanny Wynter et Joshua Nash, ainsi que la danseuse et répétitrice Victoria Shulungu témoignent enfin de leur viscéral dévouement pour la compagnie Far From the Norm depuis plusieurs années, heureux d’intégrer des propos pertinents, actuels et puissants à la danse hip-hop et contemporaine théâtrales.