L’électronique de Ciel : racines, rigueur et flot créatif
Après un premier passage à MUTEK en 2021, la productrice de musique électronique Ciel est de retour cet été dans le cadre de la 25e édition de ce festival de musique électronique montréalais. La Torontoise, aussi DJ, propose aux festivaliers une version en direct (live) et réinventée de son album « Homesick », un premier opus, paru en 2023 et portant sur ses origines chinoises. Le Lien MULTIMÉDIA a rencontré la musicienne pour discuter de son parcours d’apprentissage, de ses inspirations et de ses outils de création préférés.
C’est au piano classique que Cindy Li fait ses premières armes en musique. Très tôt, encouragée par des parents mélomanes, elle apprend le piano avec rigueur. « La musique classique, j’y ai été exposée très jeune parce que c’était la musique que mes parents aimaient et parce que je jouais du piano. Ç’a pris plusieurs années avant que je m’intéresse à la musique électronique. »
Pas du tout adepte des succès « dance » et « eurohouse » populaires qui envahissent les radios dans les années 90, Cindy Li s’intéresse plutôt au hip hop, au shoegaze et au post-rock. Puis, en s’attardant à la musique ambiante d’Aphex Twin et d’autres artistes de l’étiquette Warp Records, la musicienne fait son entrée dans l’univers électronique. « Ce n’était pas tant un genre que je recherchais, mais plutôt une manière de faire de la musique à même un genre donné. […] Je dois entrer dans un univers musical de la bonne façon, sinon ça peut me prendre vraiment beaucoup de temps à l’apprécier. Quand j’ai trouvé le bon chemin vers l’électronique, j’en suis devenue obsédée. »
DJ autodidacte, elle apprend la réalisation musicale auprès d’un ami certifié formateur Ableton. Pendant trois à six mois, elle prend des leçons, mais reste frustrée par son rythme d’apprentissage. La compositrice va donc puiser dans son passé de pianiste pour aller chercher la régularité dont elle a besoin pour intégrer la technique nécessaire à son autonomie créatrice. « Je me disais, pourquoi je ne retiens rien de ce que j’apprends ? Pourquoi j’oublie des choses ? Et c’est à ce moment que mon passé de pianiste a refait surface. Je me suis dit “tu n’apprendras jamais rien si tu ne le pratiques pas tous les jours”. Je me suis dit “tu apprends une nouvelle “discipline”. […] Le dévouement est venu d’habitudes nées dans l’enfance. On ne se débarrasse pas facilement de ces vieilles habitudes. Et autant je me suis battue bec et ongles contre mes parents, la discipline et le dévouement que j’ai appris d’eux sont restés. Et c’est bien ! Dans le monde artistique, les gens sont obsédés par l’idée du prodige, du talent inné, par l’idée que tu l’as ou que tu ne l’as pas, parce que c’est romantique et mystique en quelque sorte. Je crois qu’en réalité, ce n’est pas aussi romantique. Personnellement, je crois que si tu es dévouée, disciplinée et que la passion est là, tu peux vraiment faire ce que tu veux. Si tu y mets du temps. »
La pause pandémique profite à Cindy Li, qui dédie son temps libre à la composition. La musicienne simplifie son attirail d’instruments, laissant de côté les Waldorf Blofeld, Korg Electribe et Roland JV-1080 pour la librairie de Native Instruments et une série de plug-ins (modules externes ou plugiciels), question d’être plus légère et toujours en mode plug & play. « C’est la beauté de la technologie. Beaucoup de gens disent que si c’est trop facile, c’est comme de la triche. Je ne suis pas d’accord avec ça. Je pense que nous devrions adopter la technologie qui est mise à notre disposition. Et l’un de ses avantages, c’est de pouvoir composer depuis mon lit si je le souhaite. C’est le luxe de la modernité. »
En 2023, Ciel fait paraître « Homesick », une lettre d’amour à sa culture d’origine, un premier album qui crée des ponts avec une musique ancienne datant de jusqu’à 1000 ans. Sur cet opus d’une cinquantaine de minutes, chaque chanson échantillonne un instrument traditionnel chinois. Pour ce projet musical, Cindy Li a obtenu des fonds du Conseil des arts du Canada, ce qui lui a permis de travailler à distance avec des musiciens qui lui ont fourni des pistes traditionnelles, pièces qu’elle a déconstruites pour les manipuler, pour créer des couches sonores très personnelles, ancrées dans un style électronique rythmé, brillant et texturé. La musicienne a tout fait seule, de l’échantillonnage aux arrangements, jusqu’au mixage de l’album. « En fait, mixer cet album a été l’expérience la plus énervante. Je pense que si j’en ai les moyens, je préférerais simplement payer quelqu’un pour mixer à ma place la prochaine fois. Parce que, même si je peux mixer, cette étape peut devenir pour moi très anxiogène. On dirait que je pourrais y travailler indéfiniment, sans savoir quand m’arrêter. Et ça déclenche vraiment beaucoup d’habitudes très nocives dans mon flot de travail. Donc c’est probablement le dernier album ou EP que j’aurai mixé pour être honnête ! »
Comme DJ et productrice, Cindy Li travaille depuis des années à donner plus de visibilité aux femmes dans la musique électronique. Elle a notamment joué un rôle clé dans la mise sur pieds du collectif de DJ femmes et LGBTQIA+ Discwoman et a une vision très critique de la situation actuelle en termes de représentation. « Je pense que ça s’est définitivement amélioré, mais le travail n’est pas terminé. Je suis globalement très passionnée par la représentation des identités marginalisées, et cela s’applique notamment aux femmes. Je me soucie de la représentation des femmes artistes, et c’est motivant de voir à quel point leur présence dans les événements a augmenté. Mais c’est décevant de voir que ça s’applique de manière disproportionnée à des femmes cis, des femmes hétérosexuelles, des femmes conventionnellement attirantes et des femmes valides. Le taux de réussite est très inégal. » Pour la DJ, s’il y a du progrès, la partie n’est donc pas encore gagnée.